Professeur des universités
IAE Paris – Sorbonne Business School
*Membre de la faculté du Business Science Institute.
Article initialement publié sur The Conversation France.
Les marques ont toujours été des symboles pour identifier et différencier des produits ou des services. Elles sont aussi des marqueurs sociaux. Mais au-delà de ces fonctions, les marques revendiquent aujourd’hui des valeurs qui visent à devenir un levier de croissance en donnant du sens aux individus : consommateurs (un client de Harley Davidson ne va pas seulement s’acheter une moto : il va aussi s’associer à une communauté qui partage des valeurs autour de la liberté et de l’évasion), mais aussi employés (par exemple, le fabricant de jouets Lego va fédérer ses équipes autour d’une mission de développement du potentiel créatif des enfants).
La question centrale dans le management de la marque est donc : comment construire ces marques qui donnent du sens ? Plusieurs recherches menées dans le cadre de la Chaire Marques & Valeurs de l’IAE de Paris permettent d’apporter des éléments de réponses qui éclairent sur des ressorts plutôt inattendus qui concernent à la fois les clients et les salariés.
Les consommateurs ne recherchent pas que des marques qui leur ressemblent
Du côté des consommateurs, d’abord. On sait qu’aujourd’hui les individus sont en quête de sens. Certaines études affirment même qu’ils plébiscitent de plus en plus les marques qui incarnent des valeurs. Une recherche en cours permet de mieux comprendre comment les consommateurs appréhendent les valeurs proclamées par les marques. En effet, certes, nous vérifions qu’une personne qui revendique des valeurs, par exemple d’ouverture d’esprit, va préférer une marque qu’il perçoit comme ouverte d’esprit plutôt qu’une marque non ouverte d’esprit. En revanche, un individu qui revendique uniquement cette valeur d’ouverture d’esprit va préférer une marque qui est associée à la fois à l’ouverture d’esprit et à une autre valeur (par exemple, le pouvoir), plutôt qu’une marque qui est uniquement ouverte d’esprit.
En d’autres termes, si une personne revendique par exemple deux valeurs, disons rouge et bleu, elle préférera une marque rouge, bleue et verte plutôt qu’une marque uniquement rouge et bleue. Comment expliquer cela ? Ces résultats rejoignent la théorie de l’expansion de soi qui montre que, dans les relations interpersonnelles, les individus ont un besoin de s’enrichir. Ils vont donc lier des relations avec des personnes qui à la fois leur ressemblent et leur permettent de s’étendre vers d’autres domaines.
Ce résultat est très intéressant car il remet en cause l’idée que les personnes achètent plutôt les marques qui leur ressemblent. Celles-ci ne doivent donc pas uniquement cibler des individus qui portent leurs valeurs. Notamment sur les réseaux sociaux, au lieu de cibler les personnes selon leur centre d’intérêt du moment, les marques auraient plus de valeur auprès de personnes moins similaires à leur univers symbolique à qui ils permettraient de nouvelles découvertes.
Attention aux vendeurs trop passionnés
Du côté des employés, ensuite. De nombreuses recherches ont montré les bénéfices pour les entreprises apportés par des collaborateurs qui s’identifient à la marque pour laquelle ils travaillent. Ils sont plus engagés, défendent la marque à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise. Ils deviennent ainsi des ambassadeurs de la marque auprès des clients.
Toutefois, dans une recherche publiée dans la revue Journal of Business Research nous révélons les limites de cette quête de collaborateurs passionnés par la marque.
Il en ressort notamment que les vendeurs qui s’identifient à la marque ont une certaine résistance au changement. Ils peuvent avoir du mal à accepter les évolutions nécessaires à la marque pour qu’elle puisse rester dans l’air du temps. Leur passion pour la marque peut les amener à déformer l’histoire de la marque. Mais le plus dangereux reste que certains des vendeurs qui s’identifient à la marque oublient le client. Ils sont certes des porte-parole de la marque, mais ils peuvent générer des sentiments d’insatisfaction auprès des consommateurs experts du produit qui n’apprécient pas toujours la mise en avant de l’histoire de la marque. Ou encore auprès des consommateurs très attachés à la marque qui ne supportent pas toujours les vendeurs passionnés qui viennent s’immiscer dans leur relation avec la marque qu’ils veulent exclusive.
Cette recherche remet en cause les pratiques actuelles de certaines entreprises qui recrutent les vendeurs selon leur passion pour la marque. Ce type de pratique néglige en effet l’orientation client. Pour assurer une bonne expérience client, et dans tous les secteurs, il faut un retour à l’équilibre entre l’orientation marque et l’orientation client dans le recrutement et la formation des vendeurs. Concrètement, les entreprises doivent s’assurer que les vendeurs revendiquent les valeurs de la marque tout en restant attentifs aux clients. Inversement, les vendeurs doivent prendre en compte les attentes des clients sans trahir les valeurs de la marque.
Dépasser une vision réductrice de la marque
On voit bien à la lecture de ces résultats relativement inattendus que les entreprises ont encore une vision trop réductrice des marques, ce qui peut réduire l’incarnation et le rayonnement des valeurs que l’on veut défendre dans une organisation. Autrement dit, le potentiel de création de valeur pour les salariés, les consommateurs et les entreprisesn’est pas entièrement exploité.
Les marques sont un levier de croissance, d’inspiration et d’innovation pour faire grandir les organisations et créer de l’emploi. Rien de tel qu’une marque porteuse de valeurs pour motiver et donner du sens à toute action organisationnelle qui veut créer de la valeur auprès de différentes parties prenantes. Il est donc grand temps d’arrêter de considérer les marques comme un simple logo qui ne servirait qu’à des fins de communication.
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