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Photo du rédacteurBusiness Science Institute

Comment motiver les investisseurs individuels pour les fonds responsables ?



Katia Lobre-Lebraty

Maître de conférences – Sciences de Gestion

IAE LYON, Université Jean-Moulin Lyon 3



Marco Heimann*

Maître de conférences à l'IAE lyon School of Management

Université Jean-Moulin Lyon 3


*Membre de la faculté du Business Science Institute

 

Article initialement publié sur The Conversation France.



Cet article, issu d’une communication scientifique, est publié dans le cadre du partenariat FNEGE–The Conversation France autour des États Généraux du Management qui se sont tenus à Toulouse les 26 et 27 mai 2016 sur le thème « L’impact de la recherche en sciences de gestion ».


Les stratégies d’investissements responsables ont connu une croissance sans précédent. En Europe entre 2011 et 2013 cette croissance était de 22.6 % pour les « fonds thématiques » et de 91 % pour les « fonds d’exclusion ». Aux États-Unis, fin 2013, un dollar sur six était investi selon une stratégie socialement responsable.


Cet engouement pour les fonds responsables reste cependant le fait des investisseurs institutionnels. Si l’on souhaite promouvoir les investissements responsables chez les particuliers, il faut se demander quelles sont leurs motivations pour l’ISR (investissement socialement responsable) et dans quelle mesure ces motivations, lorsqu’elles sont exprimées, affectent effectivement leurs investissements ?


La diversité des réponses académiques


La littérature académique sur le sujet légitime ce questionnement d’autant plus que les recherches publiées aboutissent à des résultats souvent contradictoires.


En effet, selon certains travaux l’ISR surperformerait l’investissement conventionnel, notamment parce que l’anticipation du durcissement de certaines réglementations ou la réduction de l’exposition à des risques intangibles pourraient bien permettre aux entreprises vertueuses de surperformer celles qui le sont moins ! C’est cette surperformance qui serait donc la source de la motivation des investisseurs.


D’autres études montrent que les performances financières de l’ISR sont comparables à celles des investissements conventionnels. Ni meilleures, ni moins bonnes. Dès lors les convictions éthiques des investisseurs pourraient s’exprimer sans mettre en péril la rentabilité de leurs investissements. Autrement dit les investisseurs seraient motivés par l’ISR car ils obtiendraient les mêmes performances qu’avec l’investissement conventionnel.


Enfin, selon certaines recherches, se priver d’investir dans des entreprises jugées insuffisamment responsables représente un coût, notamment parce que cela revient à se priver de la surperformance potentielle de ces entreprises et que cela réduit la diversification potentielle des investissements. Ainsi, selon ces travaux, l’ISR sous-performerait les investissements conventionnels. Dès lors si des investisseurs, convaincus de cette sous-performance, investissent tout de même dans l’ISR, c’est que leur motivation dépasse le cadre de la performance financière.


Effectivement, lorsque les performances financières sont jugées bonnes, on peut décider de « faire le bien » selon le célèbre article de Hamilton intitulé « Doing well while doing good ? ». Une telle attitude consiste à ne pas chercher à accroître encore la performance financière, que l’on soit un investisseur ou une organisation. La motivation pour l’ISR se manifesterait donc une fois un certain niveau de performance financière atteint !


Enfin, certaines motivations apparaissent totalement déconnectées de la performance financière. On observe par exemple : une utilité psychologique de l’ISR, au sens où ces investissements favoriseraient la sérénité des investisseurs en leur permettant d’être en accord avec eux-mêmes et/ou d’envoyer un signal social positif les concernant du type : « Regardez ! Je suis quelqu’un de bien ! » faisant échos aux travaux de Jean Tirole, prix Nobel d’économie français en 2014 à propos de « la philanthropie déléguée ».


Les curieux résultats d’une simulation


Dans l’étude que nous avons réalisée, la propension à investir dans des entreprises responsables a été mesurée à travers un jeu de simulation d’investissement. Les participants disposaient initialement de 100 000 € virtuels à investir dans un univers de placements composé d’actions appartenant au STOXX Europe 600. Par ailleurs, pour explorer les motivations sous-tendant les décisions d’investissement, il a été demandé aux participants d’expliquer par écrit leurs décisions d’investissement au fil du temps.

En résumé, les résultats de notre étude sont les suivants : nos investisseurs se disent motivés, intéressés par l’ISR car il leur procure une bonne performance financière. Ils évoquent également une pression institutionnelle ou sociale qui les pousserait vers l’ISR parce que c’est bien, c’est ce qu’il faut faire !


Toutefois, ces motivations exprimées ne se traduisent pas nécessairement, dans leurs décisions, par des investissements plus responsables. En particulier, les participants ayant exprimé une motivation liée à la pression sociale n’ont pas investi dans des entreprises plus responsables. Quant aux participants associant ISR et bonnes performance financière, ils n’ont effectivement investis dans des entreprises plus responsables que lorsque la performance globale de leurs investissements était inférieure à celle du marché ; dans le cas contraire, leurs investissements n’étaient pas particulièrement responsables.


Ces résultats, pour le moins surprenants, sont le fruit d’un processus décisionnel aboutissant aux choix des participants. C’est donc de ce côté-là que peuvent être trouvées des explications opérationnelles.


Anatomie et pathologie du processus décisionnel


De manière simplifiée, le processus décisionnel des investisseurs peut être représenté par une boucle reliant Motivations-Décision-Résultats et permettant la localisation de dissonances cognitives potentielles.

  1. Des dissonances entre la motivation exprimée et la décision prise. La décision ne correspondant pas aux motivations déclarées du décideur. C’est bien le cas rencontré lorsqu’il s’avère que le décideur aux investissements financièrement performants et qui se déclare motivé par l’ISR, n’a pas investi dans des entreprises particulièrement responsables. Comment l’expliquer ? Ou bien il « enjolive » sa préférence pour l’ISR n’y croyant pas vraiment ; ou bien il agit compulsivement au moment du choix, revenant instinctivement au classique rendement financier. On se trouve alors dans un cas de prégnance de la causalité financière sur le résultat.

  2. Des dissonances entre la décision et le résultat obtenu. Les résultats de la décision ne correspondent pas à ce qu’attendait le décideur. Dans notre cas, l’investisseur croyant en ses qualités de décideur et en la surperformance de l’ISR obtient de mauvais résultats financiers à la suite de ses choix. Il renverse alors sa croyance et ainsi s’autojustifie. En mentionnant sa préférence pour le socialement responsable il sous-entend que c’est la cause ses mauvaises performances financières. D’une certaine manière, l’ISR devient alors son bouc émissaire au sens girardien du terme.

  3. Des dissonances entre le résultat obtenu et la motivation de départ. Les bons résultats financiers obtenus par l’investisseur lui font oublier dans ses actes ses convictions de départ pour l’ISR. Ce phénomène d’oubli explique pourquoi nos investisseurs aux bonnes performances financières exprimaient leur conviction à propos de la surperformance de l’ISR sans que cela ne se retrouve dans leurs choix d’investissement.

De telles dissonances cognitives parasitent le processus décisionnel. Non seulement elles éclairent les résultats de notre étude, mais elles permettent également son prolongement au niveau de l’action. Comment, en effet, les établissements financiers qui commercialisent les fonds ISR peuvent-ils en tirer parti et notamment, développer et fidéliser leur clientèle sur ce type de produits ?


Pédagogie du choix multicritère


Nous pensons que sans manquement à l’éthique, les banques peuvent exploiter la pression sociale que subissent les investisseurs concernant l’ISR et qu’ils ont exprimé lors de cette étude : en fournissant à ces investisseurs individuels une information claire et transparente relative aux fonds ISR. Comment sont-ils élaborés, de quelles valeurs se composent-ils ?


Ces informations permettraient par exemple aux investisseurs de comprendre pourquoi des valeurs pétrolières peuvent être présentes dans un fond ISR. Dès lors ils n’auraient plus le sentiment d’être bernés par une « exploitation pernicieuse de leur générosité » !


Par un effort pédagogique permettant aux investisseurs individuels de comprendre que les fonds ISR tendent à optimiser conjointement les performances financière et sociétale. Le décideur doit prendre conscience qu’il décide en fonction de 2 critères, le premier relevant de la finance, le second de la responsabilité sociale et qu’en fait, il recherche un résultat satisfaisant pour l’un sous contrainte d’un minimum pour l’autre.


C’est en formant et informant l’investisseur individuel sur l’ISR que les dissonances cognitives pourront être limitées, et qu’au-delà d’un discours favorable à l’ISR, les investisseurs individuels agiront et investiront effectivement dans ces fonds.


 

A découvrir...


Les tribunes de Marco Heimann sur The Conversation France.


Les ouvrages & articles de Marco Heimann via CAIRN.info.

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