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Photo du rédacteurBusiness Science Institute

Déchiffrer l'avenir : dialogues entre droit, économie et gestion dans un monde fragmenté




Avec :


Jean-Philippe Denis (Université Paris-Saclay)*

Boris Bernabé (Université Paris-Saclay)

Olivier Passet (Groupe Xerfi)

Sandra Charreire-Petit (Université Paris-Saclay)

Marie-Christine Chalus-Sauvannet (IAE Lyon school of management)*

Pascal Corbel (Université Paris-Saclay)


*Membres de la faculté du Business Science Institute


 

A Versailles, à l'occasion de la semaine internationale du Business Science Institute, la discussion a porté sur les interactions entre droit, économie et management pour renouveler la manière d'appréhender les "problèmes" stratégiques à fort impact sociétal et managérial. Jean-Philippe Denis, Boris Bernabé, Olivier Passet, Sandra Charreire-Petit, Marie-Christine Chalus-Sauvannet et Pascal Corbel ont ainsi partagé leurs points de vue sur le principe même de "Rencontres Stratégiques" entre praticiens et chercheurs et les thèmatiques porteuses .


Cinq axes de réflexion pour renouveler l'interaction entre mondes académique et professionnel


Jean-Philippe Denis, professeur à l'université Paris-Saclay, a ouvert la table ronde en contextualisant les discussions à venir dans le cadre plus large du projet de Rencontres Stratégiques conçu en partenariat entre IQSOG (Xerfi Canal), le Business Science Institute et Choiseul Advisory.



L'ouvrage publié par Xavier Desmaison, co-fondateur et Vice-Président de Choiseul Advisory en collaboration avec Alexandre Medvedowsky, intitulé Stratégie d'entreprise dans un monde fragmenté, aux éditions Hermann a contribué à identifier des défis majeurs liés à la fragmentation du monde. Cette contribution a permis d'établir des axes thématiques autour desquels il est jugé nécessaire que les discussions s'enrichissent entre chercheurs et professionnels, selon une logique qui est dans l'ADN du DBA du Business Science Institute.





Les cinq thèmes identifiés comme prioritaires pour animer de telles rencontres réflexives sont présentés succinctement.


1. Réseaux et Communication

Ce thème se concentre sur la place prise par les réseaux sociaux bien sûr, mais aussi l'infrastructure des réseaux, avec une attention particulière aux enjeux géopolitiques et aux dynamiques de communication dans le "nouveau monde". Ce dernier est caractérisé par des scandales, des polémiques, et des risques réputationnels amplifiés par les réseaux sociaux. La réalité multiple et la perte de sens commun sont des aspects clés à investiguer.


2. Démondialisation, Hyperglobalisation, et Souveraineté

Les concepts de démondialisation, d'hyperglobalisation, et de souveraineté sont au cœur des débats stratégiques actuels. Alors que les relocalisations et la fragmentation territoriale se multiplient, il est essentiel de comprendre comment ces dynamiques influencent les stratégies d'entreprise et les relations internationales.


3. Vieillissement et Santé

Le vieillissement de la population, les migrations, et le nomadisme sont des phénomènes qui posent des défis stratégiques majeurs. La gestion du grand âge, notamment en ce qui concerne les EHPAD, est un exemple concret des questions qui doivent être explorées pour anticiper les évolutions démographiques.


4. La Culture, un hard power

La francophonie et la langue française, ainsi que leur rôle dans le soft power, sont des sujets d'investigation importants. L'exemple du Louvre s'installant à Abu Dhabi illustre bien l'influence culturelle à l'échelle mondiale. Les débats autour de la Coupe du Monde au Qatar sont un autre exemple de la manière dont ces questions culturelles et politiques sont intrinsèquement liées.


5. Cyber, Risques, Sécurité, et Défense

Le dernier thème, mais non des moindres, porte sur la cybersécurité. Avec la montée des cyberattaques, la question de la sécurité numérique est devenue un enjeu stratégique majeur.


Ces cinq thèmes avaient pour objectif de fournir la matière à l'organisation de 5 rencontres stratégiques au Trianon Palace de Versailles. Cinq ouvrages, mélangeant les regards des chercheurs et des professionnels sont prévus pour publication à l'issue de ces rencontres*.





 

L'importance de l'histoire du droit pour saisir la marche du monde aujourd'hui (Boris Bernabé)



Boris Bernabé, Professeur d'Histoire du Droit à l'Université Paris-Saclay, a entamé son propos par une question déstabilisante : que fait un historien du droit dans un tel forum ? Cette question, il se l'est lui-même posée, mais très vite, il a trouvé la réponse en réaffirmant que tout ce qui est discuté dans les domaines du management et de la stratégie fait inévitablement écho au domaine juridique.



Pour Boris Bernabé, chaque sujet abordé, qu’il soit lié à la gestion, à la fragmentation des sociétés ou aux nouvelles dynamiques sociales, contient une dimension juridique indéniable. L’histoire du droit, souligne-t-il, n’est pas seulement une étude des règles et des institutions passées. C’est une démarche qui permet de comprendre et d’anticiper les transformations futures. Il fait le lien entre le passé et l'avenir, insistant sur l'importance de prendre du recul — non seulement dans le temps mais aussi dans l’espace — pour voir le monde de manière plus globale et pertinente.


L’un des thèmes majeurs de son intervention est celui du néo-féodalisme, qu'il identifie comme un phénomène contemporain. Ce terme, selon Boris Bernabé, ne se limite pas à un simple retour à des structures médiévales, mais renvoie à une réorganisation profonde des relations de pouvoir et de loyauté dans nos sociétés modernes. Il cite l’exemple de la fragmentation des territoires — qu’elle soit géographique avec la décentralisation ou virtuelle avec l’émergence des métavers. Ces mondes fragmentés, où de nouvelles formes de pouvoir s’exercent, appellent à la formation de relations de dépendance et de fidélité, rappelant celles du féodalisme historique.


Boris Bernabé introduit également une réflexion complexe sur la notion de confiance dans les sociétés démocratiques. Il souligne que la confiance, souvent invoquée comme une valeur centrale, n’est pas possible sans un certain degré de méfiance. En effet, dans un système où les pouvoirs sont séparés, la défiance devient une condition nécessaire pour maintenir l’équilibre et le dialogue entre les différentes forces en présence. Cette méfiance structurante permet de créer une dynamique où chacun, que ce soit les dirigeants ou les citoyens, doit constamment prouver sa légitimité et sa bonne foi.


Une autre partie de son discours, plus provocatrice, est sa critique du terme "environnement". Boris Bernabé, s’inspirant de Michel Serres, qualifie ce mot de "détestable" car trop centré sur l’homme, au point d’en faire une question narcissique : l’environnement ne serait, selon lui, que ce qui entoure notre "petit nombril". Cette réduction de la nature à un cadre pour les activités humaines le pousse à rejeter ce terme, qu’il considère insuffisant pour exprimer la véritable complexité des relations entre l'humanité et le monde naturel.


L’intervention de Boris Bernabé, en fin de compte, est une invitation à repenser les fondements mêmes de nos sociétés, à travers le prisme du droit et de l’histoire. Il pousse son auditoire à considérer le droit non pas comme un ensemble figé de règles, mais comme un outil dynamique et essentiel pour comprendre les évolutions stratégiques, sociales et environnementales de notre époque.


Pour une économie et une gestion vraiment critiques (Olivier Passet)


Olivier Passet, économiste, ancien membre de la commission Attali pour la croissance et Directeur des synthèses du groupe Xerfi, interroge la notion d'urgence dans la pensée stratégique contemporaine. Il remet en question ce qu'il appelle le « marketing de l’urgence », qui pousse à croire que notre époque est plus disruptive que les précédentes. Pour lui, la nécessité de penser stratégiquement n’a jamais été plus pressante qu’aujourd’hui, mais cette urgence est souvent exagérée par des discours anxiogènes, notamment ceux propagés par des cabinets de consultants. Il se demande si cette époque est véritablement plus disruptive ou si, en réalité, elle ne fait que continuer un processus de transformation déjà amorcé depuis des décennies, notamment depuis les événements marquants des années 2000, comme l'effondrement des Twin Towers et l'explosion de la financiarisation.



Olivier Passet critique ensuite l’économie en tant que discipline, qu'il décrit comme une science instrumentale, linéaire, focalisée sur des causalités simples et sur la maximisation du profit, souvent au détriment d’une réflexion sur les finalités profondes. Il reproche à sa discipline de ne pas interroger le désir ou l’utilité véritable des choses, mais plutôt de fonctionner comme un outil au service d’injonctions externes. L’économiste, selon lui, se transforme en mercenaire qui applique des solutions prédéterminées sans remettre en question les fondements de ces solutions. Cette critique s’étend également à la gestion, qu’il perçoit comme étant enfermée dans une logique de reproduction des systèmes existants, sans réelle capacité à penser la transformation radicale des organisations.


L’enfermement disciplinaire est un autre thème majeur de son intervention. Olivier Passet souligne le danger de s'enfermer dans sa discipline, au point de devenir « idiot » et de penser de manière dangereuse. Pour lui, l’économie ne devrait être qu’une boîte à outils parmi d’autres, et non une grille de lecture unique pour comprendre le monde. Il appelle à une ouverture disciplinaire et à une approche transdisciplinaire pour aborder les grandes questions de notre époque. Il insiste sur l’importance de l’approche systémique et inductive, qui repose sur l’observation attentive du réel plutôt que sur des modèles abstraits et souvent déconnectés de la réalité.


En abordant la notion de stratégie, Olivier Passet évoque l’importance de questionner les fins avant de se concentrer sur les moyens. Il cite l’œuvre de Pierre Veltz sur l’économie du désir comme une source d'inspiration pour aborder ces questions. Il critique également le « marketing de la disruption », qu’il considère comme une déformation de la réalité pour vendre des services ou des idées, souvent en exagérant les menaces ou en présentant des innovations comme révolutionnaires alors qu’elles ne le sont pas forcément.


Enfin, Olivier Passet conclut sur une note critique concernant les débats actuels autour de la mondialisation et de la démondialisation. Il rejette les simplifications qui opposent ces deux concepts, soulignant que la réalité est plus complexe et nécessite une approche dialectique. Par exemple, bien que certains parlent de démondialisation, le numérique continue d’ouvrir de nouveaux champs à la concurrence mondiale, rendant la situation bien plus nuancée que les discours simplistes ne le laissent entendre.


L'Homo Strategico-Juridicus et l'importance de la rencontre et du face-à-Face (Sandra Charreire-Petit)



Sandra Charreire-Petit, professeure à l'université Paris-Saclay et Directrice du centre de recherche en économie-gestion RITM entame son intervention en exprimant son accord avec ses collègues quant à la complexité de l'exercice auquel ils se livrent. Elle a rapidement souligné l'importance de former les étudiants en gestion avec une base solide en économie, insistant sur le fait qu'un bon gestionnaire doit avoir un socle culturel fort en économie. Cette formation devrait inclure, selon elle, une dimension juridique, ce qui la conduit à proposer le concept d"homo strategico-juridicus, dans la foulée de l'homo strategicus conceptualisé par Alain Charles Martinet dans son dernier ouvrage.



Sandra Charreire-Petit a ensuite mis l'accent sur l'importance de la rencontre, du face-à-face, dans les processus d'apprentissage et d'échange. Elle a partagé ses observations sur la nécessité de réintroduire des interactions directes, surtout après des années de distanciel et d'hybridation des modes de communication. Pour elle, des rencontres physiques sont essentielles pour nourrir les échanges et renforcer les processus d'apprentissage.


Un autre point central de son intervention a été la question du poids de la norme. Sandra Charreire-Petit a évoqué les travaux d'Yvon Pesqueux sur la soft law, qu'elle a présentée comme un "cheval de Troie". Elle a souligné l'importance de réfléchir aux normes et à leur usage, en particulier dans le cadre des relations entre le droit et le management dans la foulée des travaux de Romain Laufer. Ces réflexions sont critiques pour comprendre comment les normes influencent les pratiques de gestion et les dynamiques organisationnelles.


Enfin, Sandra Charreire-Petit a abordé la question de la demande sociale. Elle a souligné que les sciences de gestion ont un rôle clé à jouer dans la redéfinition de cette demande sociale, en tenant compte des évolutions démographiques, du vieillissement de la population, et des transformations économiques. Elle a insisté sur l'importance de produire de l'impact, non seulement en tant que chercheurs, mais aussi en tant que praticiens, en établissant des ponts entre la recherche et la pratique.


Agir et décider stratégiquement ? Modestie, volontarisme et veille stratégique (Marie-Christine Chalus-Sauvannet)



Marie-Christine Chalus-Sauvannet, Professeure à l'université Lyon 3, Directrice de l'IAE Lyon School of management, présidente du réseau IAE France débute son intervention en insistant sur la nécessité d'adopter une posture équilibrée entre modestie et volonté. Il ne faut pas sous-estimer les idées et les projets que les chercheurs et praticiens ont en réserve, tout en les incitant à être volontaristes dans leurs actions pour transformer le monde. Elle a affirmé que, dans le contexte actuel, il est d'urgence de former les étudiants à être proactifs.



Marie-Christine Chalus-Sauvannet a ensuite discuté certaines des thématiques proposées pour nourrir des Rencontres Stratégiques entre praticiens et chercheurs. "Urgence d'oser, penser, écrire, agir et décider stratégiquement", les verbes sont-ils dans le bon ordre ? Elle a partagé l'anecdote d'une DRH qui enseignait à ses salariés à respirer, réfléchir, puis agir, soulignant ainsi l'importance de structurer ses actions de manière réfléchie.


Elle a ensuite approfondi la question du terme "décider", en expliquant que toute décision a un impact sur l'avenir. Pour prendre des décisions éclairées, il est nécessaire de disposer d'informations anticipatives et de nourrir sa réflexion avec l'expertise de divers acteurs. Marie-Christine Chalus-Sauvannet a insisté sur l'importance de la veille stratégique, un processus collectif qui repose sur la synergie entre les différents acteurs du réseau.


En conclusion de son intervention, elle a souligné le rôle clé du Business Science Institute, qui offre un cadre propice à la réflexion stratégique et à l'anticipation des grands défis contemporains. Elle a exprimé l'espoir que des événements comme celui-ci permettent de croiser les potentiels et de renforcer l'impact des actions menées au sein de la société.


L'Accélération du monde et l'importance de l'interdisciplinarité (Pascal Corbel)



Pascal Corbel, Professeur et Directeur de la Graduate School économie-management de l'Université Paris-Saclay, débute son intervention en soulignant une réalité qui peut sembler banale après les interventions précédentes : le monde s'accélère. Il a cependant nuancé immédiatement cette observation en expliquant que, bien que cette accélération soit perceptible, elle peut parfois donner l'impression d'un retour en arrière, surtout lorsqu'on observe des phénomènes comme les guerres classiques qui deviennent presque des guerres de tranchées, ou encore les pandémies gérées par des confinements. Mais malgré ces apparences, Pascal Corbel a rappelé que les courbes de la population mondiale, des émissions de dioxyde de carbone, et d'autres indicateurs qui montrent une accélération indéniable des enjeux auxquels nous faisons face.



Il a ensuite mis en lumière un point clé : bien que ces sujets aient été présents depuis les années 2000, voire les années 1970, ils deviennent aujourd'hui de plus en plus urgents. Cependant, cette urgence n'est pas toujours bien prise en compte dans le cycle de production des connaissances. Pascal Corbel a critiqué le fait que les cycles de connaissances sont relativement lents, ce qui pose problème dans un monde en rapide mutation. Il a expliqué que la recherche est souvent intégrée aux enseignements de manière trop tardive, les étudiants devenant ensuite des cadres ou des consultants qui appliquent des connaissances déjà dépassées. Il a mis en garde contre le risque de se retrouver dans 30 ans avec un problème majeur si nous ne changeons pas de trajectoire.


Pour illustrer cette dynamique d'accélération dans le monde des affaires, Pascal Corbel a partagé une anecdote marquante : lors d'un voyage avec des étudiants dans la Silicon Valley, ils ont assisté à la conférence d'une jeune millionnaire de 19 ans qui venait de vendre sa start-up. Cet exemple démontre que les cadres d'aujourd'hui atteignent des positions de pouvoir beaucoup plus rapidement, ce qui témoigne de l'accélération des carrières et des dynamiques économiques.


Pascal Corbel a également rejoint les conclusions précédemment énoncées, soulignant qu'il n'est plus possible de construire des modèles théoriques de manière lente et déconnectée de la pratique. Les temps ont changé, et il est désormais essentiel de réfléchir en étroite collaboration avec les praticiens. Il a insisté sur l'idée que nous ne pouvons plus nous permettre de réfléchir en dehors de l'action. Il est nécessaire d'adopter une posture réflexive, capable de s'adapter à des situations qui se déroulent dans l'urgence.


Un dernier point clé de son intervention a concerné l'interdisciplinarité. Pascal Corbel a souligné que les thèmes abordés aujourd'hui sont fondamentalement interdisciplinaires, allant bien au-delà du seul domaine juridique. En rebondissant sur le droit, il a noté que, dans le contexte du développement de l'intelligence artificielle, ce ne sont pas tant les algorithmes qui comptent, mais les bases de données et les éléments qui les nourrissent. Cela mène à la création de nouveaux monopoles, un terme déjà évoqué lors des discussions, et il a mis en garde contre la gestion de ces enjeux uniquement du point de vue stratégique, car cela risquerait de donner aux dirigeants les outils pour créer des monopoles, ce qui n'est peut-être pas la véritable utilité sociale des chercheurs.


Conclusion


En synthèse, la stratégie, la rencontre, l'interdisciplinarité sont critiques pour évoluer dans un monde en transformation. La formation des futurs gestionnaires doit intégrer ces dimensions pour leur permettre de relever les défis de demain.




*Le projet de Rencontres Stratégiques a finalement impliqué de nombreux partenaires et soutiens : outre IQSOG, le Business Science Institute et Choiseul Advisory qui ont organisé ces rencontres en partenariat avec l'Ecole de Paris du management, celles-ci ont bénéficié des soutiens de la Fondation Mines Paris PSL, de l'IAE de Metz, de l'ISM-IAE de l'Université de Versailles, du réseau IAE France, et de la Graduate School Economie-Management de l'Université Paris-Saclay.


Les cinq ouvrages issus des 5 rencontres organisées seront publiés durant l'année académique 2024-2025.


 


Pour consulter la vidéo de la table ronde :






Pour retrouver l'ensemble des interventions de lancement des Rencontres Stratégiques à l'occasion du séminaire international du Business Science Institute :









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