Séverine Le Loarne-Lemaire
Professeur Management de l'Innovation & Management Stratégique
Grenoble École de Management (GEM)
Adnane Maalaoui
Directeur du centre de l’entrepreneuriat
IPAG Business School
Andreas Kallmuenzer* (photo)
Professor of Entrepreneurship & Management
Excelia – UGEI
Gaël Bertrand
Professeur Associé en Entrepreneuriat
ESSCA École de Management
Myriam Razgallah
Attachée temporaire d'enseignement et de recherche (ATER)
IAE Gustave-Eiffel
Université Gustave Eiffel
*Membre de la faculté du Business Science Institute.
Article initialement publié sur The Conversation France.
En composant moins de 30 % d’une promotion d’ingénieurs ou de chercheurs en sciences dites dures, les femmes sont les grandes absentes des processus d’innovation technologique. Un déficit à combler qui peut toutefois apparaître comme une bonne nouvelle pour répondre au défi climatique, car elles peuvent permettre d’accélérer la recherche de solutions innovantes. Il existe donc une marge de manœuvre.
C’est ce qui ressort de notre recherche sur les enjeux de l’innovation pour lutter contre le changement climatique qui vient de paraître dans la revue Technological Forecasting & Social Change. Notre analyse se fonde sur une étude systématique des 1 275 articles publiés depuis 1975 dans les revues classées dans la Harzing List (agrégat des différents classements de revues scientifiques en management dans le monde).
Des chercheuses très productives
Tout d’abord, la très bonne productivité des femmes qui embrassent ce métier a largement été mise en évidence : plus que son homologue masculin, la chercheuse se focaliserait sur la question de recherche qui l’anime. Même s’il est délicat de formuler une règle applicable à toutes les femmes, la littérature montre que la chercheuse choisit de travailler sur une question qui la motive véritablement, délaissant les questions qui pourraient être travaillées par opportunisme de carrière ou par curiosité secondaire.
Cette focalisation la conduit à être plus productive, à déposer plus de brevets et à publier plus de résultats. L’une des principales explications peut être trouvée dans les contraintes sociales vécues lors de leurs études de doctorat et qui pousseraient les femmes à se surpasser : longtemps, la gent féminine a été discriminée dans l’obtention de bourses d’études et dans l’obtention de leur premier poste.
Aussi, dans un contexte où il est urgent de trouver des solutions technologiques alternatives à celles actuellement en vigueur pour lutter contre le changement climatique, la posture sociologique des chercheuses les conduit à être plus efficaces.
Cette efficacité apparaît d’autant plus notable lorsqu’il s’agit de transformer l’invention, consignée dans un brevet, en innovation. La littérature mentionne également que les femmes sont désireuses d’adopter les nouvelles technologies lorsqu’elles sont perçues comme ayant un impact social. Les chercheuses ont moins l’ambition de voir transformer leur invention en innovation que leurs homologues masculins, sauf si cette innovation peut aider les autres et remplir une finalité sociétale.
Les femmes adoptent plus d’innovations utiles
En revanche, cette capacité d’innovation est présente lorsque leur travail est respecté. A contrario, les femmes sont moins créatives et productives lorsque l’ambiance de travail est délétère.
Au regard de cette appétence sociale dont font preuve les femmes, nous posons l’hypothèse que plus de chercheuses motivées par la recherche de nouvelles technologies moins énergivores ou de substituts aux technologies existantes ne peuvent qu’être productives dans leur démarche.
Les femmes sembleraient donc utiles en amont du processus d’innovation pour lutter contre le changement climatique. Leur contribution semble également précieuse en aval du processus, lorsque l’innovation est lancée sur son marché et en passe d’être adoptée.
On sait que l’adoption d’une innovation reste plus une affaire de classe sociale que de genre. Pour autant, depuis les années 1990, on a montré que les femmes adoptent difficilement des innovations qu’elles jugent inutiles – des innovations « gadgets » en quelque sorte.
Si le constat a été opéré sur le cas de l’adoption d’innovations en lien avec les technologies d’informations, nous posons l’hypothèse que plus de femmes dans le tri d’innovations peuvent permettre de faire le distinguo entre celles qui contribuent réellement à la lutte contre le changement climatique et celles qui sont superflues au-delà de leur apparente attractivité.
Une discrimination persistante
Toutes les qualités attribuées aux femmes ne sont pas intrinsèques à leur sexe mais sont le fruit de postures et de réactions face à des discriminations. Pour autant, aussi positives soient-elles, la littérature récente met en évidence des signes persistants de discriminations à l’égard des femmes, en particulier dans les processus d’innovation : à l’embauche à des postes de cherche, à la promotion à la tête de laboratoires de recherche…
Les chercheuses mères restent en outre réticentes à se déplacer dans les colloques de recherche les plus éloignés de leur lieu de vie, ce qui les met à l’écart des réseaux d’échange pourtant nécessaires pour générer de nouvelles opportunités de collaboration, de publication et surtout pour accéder à de nouveaux postes de chercheuses.
Les entraves que connaissent les chercheuses sont également connues des femmes qui participent dans les entreprises aux processus de création et d’innovation : leurs idées d’innovation restent rarement adoptées dans un processus d’idéation ; leurs promotions à des places de direction, où elles peuvent être à même de sélectionner les technologies utiles et d’exclure les innovations gadgets pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique, apparaissent souvent compromises à cause du « plafond de verre ».
Aussi, l’hypothèse que nous posons est que la lutte contre les discriminations femmes/hommes dans le monde économique semble être un bon moyen pour accélérer l’efficacité d’un processus d’innovation technologique pour lutter contre le changement climatique.
A découvrir...
Les articles d'Andreas Kallmuenzer sur The Conversation France.